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Publié le 01/02/2021

​Le prix de l'amour


Combien ça coûte de s'inscrire sur un site de rencontre ou dans une agence matrimoniale? Quels sont les pièges à éviter?
L'amour ne doit pas être aveugle.

C'est le privilège de l'âge et des expériences. Je sais désormais ce que je veux. Le groupe de marche ou le club de danse ne m'ont pas permis de trouver l'homme idéal à mes yeux.

Et depuis que ma vie sociale est en suspens à cause du virus, j'affine mes recherches sur internet", raconte Fyona, 57 ans, séparée depuis deux ans. Elle espère rencontrer, mais sans aucun empressement dit-elle, un compagnon de vie grâce à un site de rencontres. "C'est vrai que ça fait un peu supermarché virtuel. Il y a aussi tous ces hommes qui veulent des rencontres sans lendemain. J'ai le nez fin pour la sélection. Je peux néanmoins revoir mes critères à la baisse. Je m'entends bien depuis quelques semaines avec un fumeur, alors que c'était exclu, mais il a du charisme."

 
Les séparations covid boostent les agences matrimoniales

Un million en dix ans!
Comme Fyona, ils sont des centaines de milliers à être inscrits sur des sites de rencontre.

Selon leur état civil, la Belgique compterait plus de 5,6 millions de célibataires, c'est à dire ni marié, divorcé ou veuf.

Même si tous ces célibataires n'habitent pas en solo, il y a une lame de fond.

Le pays a gagné plus d'un million de célibataires en seulement une décennie. Et d'ici 2060, un ménage sur deux sera composé d'une seule personne.

L'augmentation est attribuable à deux groupes, selon Dimitri Mortelmans sociologue à l'université d'Anvers. "On assiste à un vieillissement de la population, dit-il. Les veufs ou veuves souhaitent rester plus longtemps indépendants à la maison. À côté de ce groupe, il y a celui de la génération "Sex and the City" (du nom d'une série américaine). Ce sont des célibataires heureux qui aiment vivre dans de grandes villes bouillonnantes." Et ils aiment aussi par dizaines de milliers les sites de rencontres. Nous n'avons pas trouvé de chiffres pour notre pays, mais en octobre dernier, poussé par les confinements et l'absence de soirées privées, près d'un Français sur trois était inscrit sur un site de rencontre en ligne (sondage Ifop). On imagine mal que ce soit tellement différent chez nous.

 

Le prix d'un abonnement

Il existe donc un terreau fertile, un véritable eldorado pour le business des sites de rencontre. Dans le sillage de Meetic et Tinder, appartenant à un groupe florissant coté en Bourse, on recense quelques 2.000 sites de rencontres. Un chiffre vertigineux. Il y en a pour toutes les orientations sexuelles, toutes les convictions philosophiques et pour tous les âges. Des plateformes sont particulièrement dédiées aux 50+: 50plusmatch.be, club-50plus.be, singles50. be, etc. Leur prix? Il faudra généralement débourser entre 15 et 30 ? par mois selon la durée de l'abonnement.

Il existe aussi des sites de "l'entre-soi" qui visent particulièrement un public de cadres supérieurs et où les inscrits dépassent majoritairement les 45-50 ans. C'est le cas d'EliteDating. L'abonnement premium coûte 359 ? pour une année, 251 ? pour un semestre et 174 ? pour un trimestre. Il est possible de prendre un abonnement gratuit. Mais les fonctions sont alors très réduites, juste pour mettre l'eau à la bouche. "Cela fait partie des combines pour vous faire sortir la carte bancaire", selon l'organisation de consommateurs 60 millions. Si on vous propose de créer un compte gratuitement au départ, il faudra ensuite payer "pour profiter des différentes fonctionnalités, même les plus basiques. La frustration, c'est la rançon de la gratuité."

 
la reconduction!

L'organisation de consommateurs Test Achats a déjà demandé au SPF Economie qu'il mène des enquêtes à l'encontre de plusieurs sites de rencontre. Et de rappeler, le cas échéant, quelques pratiques douteuses mais pas toujours illégales. C'est le cas des reconductions tacites de l'abonnement. "Cette disposition doit figurer clairement dans les conditions générales en gras et dans un cadre distinct, ainsi que dans le mail de confirmation du contrat. À défaut, de nombreux clients risquent de ne s'en rendre compte que trop tard, en consultant le relevé de leur carte de crédit." Quasiment tous les sites pratiquent la reconduction tacite.

Une autre manière de pousser à la consommation est de donner "la possibilité de mettre en valeur sa photo durant une durée limitée auprès des autres membres, dénonce 60 millions. Et de voler la vedette aux simples abonnés, devenus les dindons de la farce. Ou comment inciter les internautes à dépenser plus, en leur proposant une exposition toujours plus importante."

 
Délai de réflexion

Bien des sites (qui n'ont souvent pas leur siège en Belgique) ne respectent par ailleurs pas la loi en matière du délai de rétraction. Un contrat en ligne doit toujours être assorti d'un délai de réflexion de 14 jours au cours duquel le client peut se rétracter sans frais et sans motif. Tous les sites ne le permettent pas et leur architecture est pensée pour rendre les procédures de désabonnement particulièrement compliquées. Il en va de même pour l'absence de transparence des tarifs. Notre conseil: vérifiez régulièrement les dépenses sur votre carte de crédit et contestez-les le plus rapidement possible si besoin. Le Centre européen des consommateurs (www.cecbelgique.be ou 02 542 33 46) peut vous aider en cas de litige.

 
Données privées

Les données encodées doivent respecter les règles de l'UE en matière de protection des données. Mais les sites sont parfois à la limite en la matière. L'Autorité de protection des données a dernièrement imposé une amende de 50.000 ? à la plate-forme de rencontres en ligne Twoo, principalement parce que cette société gantoise traitait aussi les données personnelles de non-membres. Elle incitait en réalité ses membres à ajouter des amis ou des contacts. Et si un utilisateur donnait son accord pour télécharger les contacts de son smartphone, le réseau social recueillait les noms et numéros de téléphone pour les inviter à s'inscrire ensuite.

Enfin, outre le volet légal, il y a aussi le vécu des utilisateurs qui incite à la prudence. De nombreux couples se sont bien entendu formés grâce aux sites de rencontres. On doit évidemment croire en l'amour à 50+. Mais il ne faut pas baisser sa garde pour autant. Les attentes ne sont pas les mêmes qu'à 20 ans où l'enchaînement de relations plus courtes fait partie de l'expérience. Les sites de rencontres peuvent en ce sens décevoir et paradoxalement redonner du crédit à des solutions plus anciennes, dont celles des agences matrimoniales.

 
Passer par une agence matrimoniale, c'est faire des rencontres sur des valeurs et non des photos.

Un concept à la fois ancien et étrangement révolutionnaire à l'heure du numérique. Une vision qui "matche" à 80% à condition de délier les cordons de la bourse.

"Avec la Covid-19, nous sommes submergés de demandes", lance Marie de Duve, qui se qualifie de "personal match maker", car le terme de marieuse est suranné.

D'ailleurs, aujourd'hui, on ne dit plus agence matrimoniale, mais agence de rencontres. Et Marie de Duve est la patronne de l'agence Valérie Dax qui fête son demi-siècle d'existence. Son entreprise tourne bien en ces temps particuliers. "C'est logique, dit-elle, il n'y a plus de lieux pour se rencontrer. Le travail et les cérémonies de mariage, les deux occasions majeures de rencontres depuis des lustres, sont mis entre parenthèses avec la généralisation du télétravail et la suppression des mariages en grande pompe."

"Il y a un aussi un arrivage de nouveaux célibataires sur le marché", constate un thérapeute de couple. Si on manque de données chiffrées pour la Belgique, les tribunaux de la famille comptent approximativement deux fois plus de justiciables. Et la Fédération des notaires de Belgique annonçait déjà une augmentation de 25% des divorces. "Même pour des couples qui marchaient bien, la promiscuité forcée a boosté les conflits larvés. Les petits désaccords du quotidien au point de rendre l'autre insupportable", analyse le thérapeute.

 
Algorithme pour l'amour

Le retour en grâce des agences matrimoniales, de rencontres pardon, ne date cependant pas d'il y a quelques mois. Certes, commente Marie de Duve, au "début des années 2000 avec l'arrivée des sites de rencontre, la plupart des agences ont dû mettre la clef sous le paillasson." Mais la clientèle est revenue, souvent désabusée de ses aventures sur internet. Car "penser qu'un algorithme est capable de sélectionner de façon pertinente et loyale, c'est purement du marketing. Internet, c'est comme un grand supermarché avec des rayonnages des photos qui ne reflètent pas le charme d'une personne. Nous ne montrons d'ailleurs jamais la photo de nos adhérents. On travaille d'abord sur des attentes, des valeurs communes et des envies d'engagement. Si beaucoup de candidats sur internet ont l'espoir de rencontrer le grand amour, l'écueil est de se perdre dans un océan de personnes qui n'ont pas toujours dans le même état d'esprit Il y a les déçus, les faux profils... Les algorithmes ne peuvent pas remplacer l'humain, les sentiments et l'amour. Une machine ne peut déceler tout cela. Tous les candidats viennent me voir pour établir leur profil et celui recherché. C'est plus rassurant de rencontrer une personne réelle. Il y a aussi un feed-back après chaque rencontre afin de mieux connaître nos adhérents. C'est impossible à réaliser sur un site. Je me considère comme un super filtre pour éviter les mauvaises rencontres. Les cas désespérés sont plus facilement inscrits sur internet."

 
Pour quel prix?

Marie de Duvee estime donc réduire les frustrations: plus de déception ni de perte de temps, le tout dans la sécurité de rencontrer une personne réellement libre. Ce service a bien entendu un coût. Le prix de l'amour est de 1.500​euros​  chez Valérie Dax pour une adhésion d'un an. Une agence comme Atoutcoeurs, qui vise un public encore plus aisé, facturera jusqu'à 3.600 ​euros​ de prestations.

Le public visé est souvent celui des 50+. "La moitié de nos adhérents a plus de 50 ans, précise Marie de Duve. Avant, passé un certain âge, après un décès ou une rupture, vous pensiez finir votre vie seul. Ce n'est plus le cas aujourd'hui: les enfants ne sont plus à la maison, vous avez plus de temps à consacrer à vos loisirs, vous pouvez croire à un nouvel amour."

 
80% de réussite

Les chances de réussite de rencontrer le bon partenaire sont d'environ 80%, selon les statistiques de Marie de Duve. "Cela ne prend parfois qu'une semaine avant de trouver la bonne personne et parfois plusieurs mois." La proportion des inscrits en agence est globalement de six femmes pour quatre hommes. Mais au-delà de 60 ans, les femmes sont deux fois plus nombreuses. Ce qui peut prendre davantage de temps pour trouver la bonne personne du sexe opposé.

"Peu importe le temps finalement, car tout ce que nous voulons tous, conclut Fyona, c'est de renouer avec les bonheurs simples d'une vie de couple, sans plus de prise de tête. Ce qui signifie de partager à deux des voyages, des loisirs, des passions mais aussi tout simplement le quotidien. La simplicité, je le vous dis!" L'amour, c'est aussi l'amour sans chaînes.

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a2 by Valerie Dax

Marie de Duve