Déçus par les promesses non tenues des sites Internet et autres applis, les Belges se tourneraient à nouveau vers les agences de rencontre.
Vif/L'Express du 13/02/2020
Source : Le Vif/L'Express
Marina Laurent, illustration Julien Kremer
Pour la Saint-Valentin, analyse d'un phénomène à contre-courant de l'hégémonie high-tech.
En 2060, un Belge sur deux sera célibataire, contre un sur trois en 2007. Des chiffres qui interpellent, même s'ils doivent être relativisés, le terme " célibataire " étant utilisé par Statbel (l'Office belge de statistique) dans le sens de " non marié ". A la fin des années 1990, on clamait haut et fort que l'arrivée d'Internet et des nouvelles technologies allait révolutionner le grand marché amoureux en nous permettant de choisir un partenaire sur des bases rationnelles plutôt qu'en " flashant sur quelqu'un dans un bar ". Une aubaine pour les timides, les isolés, les débordés, les divorcés et tous ceux qui ne parvenaient pas à trouver quelqu'un d'aussi original qu'eux. Vingt ans plus tard, que constatons-nous ? Les sites et autres applications de rencontres pullulent, mais les gens n'ont jamais été aussi seuls. Et déçus des promesses non tenues par le digital. Une large étude menée il y a quelques mois par Test-Achats relevait d'ailleurs que 67 % des utilisateurs étaient désillusionnés, à peine un quart des 43 % qui y cherchaient une relation sérieuse y étant parvenus, après en moyenne plus de cinq années de présence sur les sites.
Internet, c'est le supermarché des profils où ne passe aucun feeling.
Indépendamment des histoires de faux profils, de vieilles photos et autres arnaques souvent dénoncées, sur le Net ce sont aussi et surtout des milliers de candidats potentiels mis à disposition, une sorte de grand magasin accessible jour et nuit où, si le produit ne convient pas, " on en obtiendra toujours bien un autre ". Une logique de marché qui, selon Eva Illouz, sociologue spécialiste des sentiments, a pour conséquence une dévalorisation de l'autre et de soi-même. On aspire avant tout à réaliser " le meilleur investissement ", uniformisant du coup son profil afin de mieux correspondre aux canons supposés de la société. Dès lors, on ne découvrirait pas de meilleur partenaire, on en " consommerait " simplement beaucoup plus. La psychologue et sexologue Bahareh Dibadj estime, elle, que les sites et applis peuvent être excellents " pour se remettre en selle après une séparation ". Pour décrocher l'amour, en revanche, elle se montre nettement plus réservée. Si, parmi ses patients, tous ou presque ont déjà recouru à ce type de plateformes, très peu en sont revenus heureux. Le scénario classique ? Passé une phase d'addiction, les utilisateurs ressentent une " descente ", à force d'enchaîner les déceptions. " Parce qu'ils ont cliqué sur un profil, les gens vont beaucoup plus loin, beaucoup trop vite et inévitablement, ils se ramassent beaucoup plus. " La solution selon elle ? " Recréer d'urgence des lieux permettant de favoriser les rencontres, en vrai. "
Même si on a un bon feeling en discutant sur le Net, quand on se rencontre en vrai, tout s'effondre.
La résurrection des agences
Ne dites plus " agence matrimoniale ", trop ringard, mais " agence de rencontre " ; aujourd'hui, les gens ne souhaitent pas nécessairement se marier. Là où on pensait le métier mort et enterré - de 2009 à 2018, le nombre d'agences belges a chuté de 154 à 116, soit un recul de 25 % -, il serait carrément en train de ressusciter, à en croire les sociétés consultées. Parmi les nouvelles tendances ? Une clientèle de plus en plus jeune, ou qui se réinscrit à différentes étapes de la vie. Du côté de l'offre, on se diversifie, on se délocalise et on multiplie les services : coaching, relooking, profils astrologiques, conférences et afterworks... On joue même la carte de l'ultraspécialistation. C'est le cas, par exemple, de Simantov, uniquement destinée à la communauté juive. Un marché de niche dont les droits d'entrée dépassent allègrement les 10 000 euros mais ce, pour une recherche " mondiale ". De manière générale, si certaines agences sont plus accessibles financièrement, on y recense majoritairement des candidats à hauts revenus, désireux de mettre toutes les chances de leur côté en s'inscrivant concomitamment auprès de plusieurs d'entre elles.
Dans les agences très haut de gamme, on est formel : " Une inscription financière élevée est un gage pour les clients de ne pas se voir proposer des candidats qui en auraient après leur argent ou qui ne pourraient pas suivre leur train de vie. " Entendez les coureurs de dots ou les croqueuses de diamants. En tout état de cause, des plus démocratiques aux plus sélectes, les prix oscillent entre 1 500 euros (agence Valérie Dax, 50 ans cette année) et 15 000 euros (Berkeley). Et si certaines agences fonctionnent à l'abonnement annuel ou mensuel (3500 euros chez Easys), d'autres garantissent un nombre minimum de sept rencontres sans contrainte dans le temps (Atout coeurs, 3 500 euros).
Les sites comme Meetic : ce sont toujours les mêmes hommes qui reviennent.
Mais il semble que la personnalité de celles et ceux qui ont fait de ce marché leur business soit aussi déterminante, si pas davantage, que le montant des droits d'inscription. Normal puisque, ici, à la différence d'Internet, on travaille surtout sur la confiance et en transparence. Constat frappant : parmi les fondateurs de ces sociétés dédiées à l'amour, plus de la moitié des interviewés ont eux-mêmes déniché l'âme soeur par ce biais. Quant aux clients, qui sont-ils et pourquoi recourent-ils à des agences ? " Tout dépend de la tranche d'âge ", souligne Nathalie Teston (Easys) avant d'ajouter que, à la différence d'il y a vingt ans, celles-ci interviennent beaucoup plus tôt dans le processus de recherche mais également dans le parcours de vie. Les clients sont toujours plus jeunes - nés avec les applis et Internet - et dégoûtés des rencontres virtuelles. Ainsi, la majorité des inscrits ont entre 30 et 50 ans et sont pour la plupart déjà passés par Internet, sans grand succès. Pour Claire Mottart (Atoutcoeurs), c'est surtout la confidentialité qui motive ses clients : " Le problème, aujourd'hui, n'est pas de faire connaissance mais d'exposer socialement son célibat, ce n'est pas le genre de choses dont on se vante dans un dîner. Puis, souvent, ils ont des professions à hautes responsabilités et refusent de s'afficher publiquement sur un site. " Même son de cloche pour Marie de Duve (agence Valérie Dax), qui ajoute qu'ils " n'ont pas le temps de faire des recherches sur Internet, d'autant qu'entre 30 et 40 ans, ils sont en plein boom professionnel et en quête d'engagement. Enfin, il y a ceux, entre 50 et 60 ans ou plus, qui peuvent débarquer après un divorce ou une séparation. "
Deux ans que je suis célibataire... Avec les filles pour lesquelles je flashe sur Internet, cela ne dure jamais plus de trois semaines.
En outre, une agence représente un filtre efficace contre les mauvaises rencontres. L'intéressé doit prouver son identité, fournir un extrait de casier judiciaire, et ce avant même " l'interview-discussion " - elle peut prendre deux heures - destinée à cerner ses motivations. Autre avantage : la garantie de pouvoir débriefer après la rencontre. " Cela demande un investissement en temps et une disponibilité importants, le soir ou les week-ends, car personne ne va prendre son téléphone du bureau pour nous raconter comment s'est déroulé son rendez-vous la veille ", pointe Claire Mottart.
Inégalités genrées
Faut-il communiquer ou pas son âge ? Sur cette question, les avis sont partagés. Chez Easys, on le donne toujours. Marie de Duve, elle, est plus nuancée. Si dans la grande majorité des cas, elle le mentionne dans le profil, il lui est déjà arrivé de faire exception " parce certains font beaucoup plus jeune et que j'ai le sentiment que cela pourrait très bien marcher avec l'autre personne. Je les aide ainsi à se laisser une chance. " Chez Valérie Dax, on ne montre jamais de trombinoscope avant le premier rendez-vous : " Comme pour l'âge, une personne n'est jamais la même en vrai que sur sa photo. " Claire Mottart, pour sa part, fournit systématiquement une photo, partant du postulat que le physique compte dans une rencontre et qu'elle ne veut pas prendre le risque de faire perdre du temps à ses clients. L'âge et le physique, deux des obstacles à l'égalité entre les hommes et les femmes. Personne n'aime le reconnaître mais là où les premiers préfèrent des partenaires plus jeunes et toujours jolies, les secondes visent plus volontiers le charisme et l'attention. Cependant, les clients des agences seraient plus ouverts et donc plus enclins à dépasser leurs préjugés. Ainsi, précise Nathalie Teston, " quand on explique aux quinquas que vouloir une compagne de 30 ans, c'est inévitablement se retrouver à faire des enfants, ils redescendent assez rapidement sur terre ".
Les applis Tinder et Badoo : c'est juste pour nous sauter ou alors ce sont des mecs qui cherchent des papiers.
Mais quel taux de réussite, finalement ? Les agences sont quasi unanimes : à condition d'être " prêt " et de prendre le temps, huit personnes sur dix trouvent l'amour grâce leurs services. Pourtant, Claire Mottart tempère, déclarant ne garantir que 65 % à 70 % de réussite. Quant à Marie de Duve, elle affirme être claire dès l'inscription. Si elle n'a pas ce que vous désirez parmi les profils repris dans ses fichiers, elle vous conseillera de repasser plus tard car le pire serait " de donner de faux espoirs aux gens ". Parmi ceux qui ont eu recours à cette démarche pour dégoter l'âme soeur, nous avons croisé des gens ravis et amoureux, d'autres qui se plaignaient du prix mais concédaient avoir fait de très belles rencontres, d'autres encore déplorant le fait que les agences n'avaient pas toujours assez de candidats à leur présenter. Car finalement, ce business-là reste tributaire du nombre de personnes qui s'y intéressent.